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jeudi 20 mars 2014

Un jour tu seras une femme ma fille tu seras un homme mon fils°

 A quel moment débute la socialisation sexuée des enfants et quelles formes prend-elle ? Telle était la question de départ de la journée d’études organisée par le laboratoire Printemps en collaboration avec l’ANR au sein de l’Université de Versailles St Quentin le 14 janvier 2014.

 

 

« Habiller un enfant en rose ou bleu ou noir ou blanc n’a pas en soi un effet discriminatoire, cela ne porte pas préjudice à l’enfant, cela ne va pas conduire à considérer inférieur ou supérieur l’enfant, pourtant, sans cesse, le soin accordé aux parents à l’apparence corporelle des enfants amènent ceux-ci à intérioriser un certain rapport à leur corps » explique la socio-démographe Olivia Samuel, « à titre d’exemple, on apprend aux filles à prendre soin de leurs corps alors qu’on apprend aux garçons à mobiliser leur corps par leur sport et cela influence les choix futurs des enfants. »

Sociologues, historien(ne)s, anthropologues, linguistes, plusieurs experts ont apporté l’éclairage de leur discipline sur cette (re)-production de normes dès le plus jeune âge.

La transmission sexuée : des pratiques éducatives de longue date

L’historien Didier Lett a débuté la journée en replaçant historiquement les différences d’éducation entre les filles et les garçons. Si, au Moyen-Âge, il y avait une faible sexualisation des nourrissons, qui portaient des vêtements unisexes ; dès l’âge de 5 ans, l’éducation des filles et des garçons différaient fortement. La première étape de cette transmission de genre se mettait en œuvre via l’habillement : tunique et pourpoint pour les petits garçons et robes obligatoires pour les filles.
Au niveau de l’aristocratie médiévale, des traités de pédagogie permettaient aux parents d’éduquer leurs enfants selon les bons codes de conduite. Environ 90% du contenu de ceux-ci était adressé aux garçons, les filles étant laissées pour compte. Un extrait d’un traité permet de comprendre la faible valeur accordée à l’éducation des filles : « As-tu des fils ? Fais leur éducation et fais-leur plier l’échine dès l’enfance. As-tu des filles ? Veille sur leur corps et ne leur montre pas un visage rieur. » L’essentiel de l’éducation féminine reposait donc sur le contrôle des corps des filles, leur enfermement dans les châteaux et leur éducation à la chasteté. A cette époque, la mortalité infantile était très forte et les causes d’accident sont révélatrices des différences de destinées entre les filles et les garçons. Si la totalité des accidents mortels des garçons se produisent lors de moments de jeux, à l’extérieur, les accidents affectant les filles sont relatifs à des activités domestiques, comme aller chercher l’eau au puit.

D’hier à aujourd’hui, a-t-on vraiment évolué ?

Pour poursuivre le débat, l’anthropologue Laurence Pourchez a présenté ses recherches sur l’éducation des enfants selon le genre dans les sociétés créoles (ile de la Réunion, ile Maurice et ile de Rodrigues). Interrogeant des femmes de 4 générations, cette chercheuse a perçu le maintien de nombreuses représentations liées au genre. A titre d’exemple, la fécondité féminine est encore fortement corrélée à la reconnaissance sociale attribuée à une femme. Dans la même lignée, le fait de mettre au monde un garçon est encore très valorisé dans les familles créoles rencontrées. D’ailleurs, malgré les progrès de la technique et les verdicts de l’échographie, certains pères continuent même de donner à manger du bœuf à leur épouse enceinte, en espérant pouvoir faire changer le sexe du fœtus. Avoir des fils permet aux pères de prouver leur virilité. Un homme dont la progéniture est exclusivement féminine verra sa virilité totalement mise en doute. « Sur les sites internet à caractère religieux, environ 50% des demandes faites par les femmes enceintes, qui prient pour éviter les complications de grossesse, ont pour objet le désir de donner naissance à un garçon et non à une fille » raconte l’anthropologue. « Le bébé est une personne sexuée soumis au système de genre » Si les discours sur le sujet ont évolué, les pratiques genrées envers les nourrissons sont encore présentes dans les iles étudiées par Laurence Pourchez. Ainsi, les pratiques dites « de grands-mères » se perpétuent dans les maternités, comme celle de masser les articulations des petites filles car celles-ci doivent être souples pour pouvoir s’occuper de toutes les tâches d’un foyer. « Les femmes le font officieusement, en guettant le personnel médical dans le couloir » explique la chercheuse.
Ces résultats d’enquête rejoignent les propos de la socio-démographe Olivia Samuel qui a étudié les comportements des parents envers leurs nourrissons : « En France, on a encore l’impression dans l’opinion publique que le bébé ne fait pas l’objet de pratiques de soin sexuées, or ceci s’avère erroné. Le bébé est une personne sexuée qu’on rattache toujours à une catégorie de genre. Il est soumis à un système de socialisation spécifique s’imposant à lui. »

Etre enceinte d’une fille ou d’un garçon : quelle différence ?

Présentant les premiers résultats d’une enquête menée depuis 3 ans auprès de parents habitant en région Parisienne, la sociologue Sara Brachet et la socio-démographe Carole Brugeilles ont ensuite poursuivi la discussion sur les questions de genre dans le cadre d’une seconde grossesse. Selon elles, de nombreuses normes régissent la parentalité contemporaine et une des fortes injonctions de notre société consiste à devoir « être prêt » à accueillir le bébé dans les meilleures conditions. Cette capacité à « être prêt » est un vrai travail effectué par les hommes et les femmes. Pour se préparer à devenir parents, plusieurs paramètres rentrent en considération, et notamment le sexe de l’enfant à naitre sur lequel les futurs pères et mères vont s’appuyer pour personnifier ou humaniser le fœtus.
Ainsi, même si en France, la préférence pour un sexe n’est pas déclarée dans les enquêtes quantitatives, les sociologues, observant et interrogeant leur échantillon pendant 3 ans, ont pu noté que la quasi totalité des parents rencontrés ont une préférence pour un sexe. « Les parents ont une préférence et les déceptions ne sont pas rares » Sara Brachet et Carole Brugeilles expliquent : « Ainsi, lorsque leur préférence est contrariée, les parents doivent s’adapter au pronostic, accepter le verdict, et convertir la déception en joie pour s’employer à être au plus vite « aimant » et « satisfait ». »
Autrement dit, l’enfant est attendu et accueilli en fonction de son sexe. La préparation qu’opèrent les parents pendant la grossesse prend alors 3 dimensions. Tout d’abord, ces derniers se préparent au genre du bébé, en dépassant leur préférence à un sexe. Puis, après ce premier verdict, les futur(e)s mères et pères anticipent les dimensions genrées de l’éducation. A titre d’exemple, les femmes disent se réjouir de donner naissance à une fille car elles imaginent plus de complicité et de goûts communs, ou à l’inverse, quand celles-ci attendent un garçon, elles se réfèrent aux théories psychanalystes selon lesquelles les relations pères/filles et mères/fils sont plus fortes.
La neutralité ne dure que 3 mois
Enfin, de manière plus matérielle, via les préparatifs (mobilier, chambre, vêtements), les parents prennent en compte le sexe de l’enfant : en choisissant, soit des couleurs dites mixtes (vert, jaune versus le rose et le bleu), soit en tenant à distance les stéréotypes tout en gardant des petits marqueurs de genre du type vêtement blanc avec un liséré rose. D’ailleurs, dès l’âge de 3 mois, la notion de neutralité est totalement abandonnée par les parents qui s’attachent à bien inscrire leurs enfants dans un genre, afin d’éviter toute méprise sur le sexe de leur bébé. Le plus surprenant des résultats est le paradoxe entre une volonté des parents d’écarter les stéréotypes tout en les reproduisant. Des mères se disant pourtant éloignées des aspirations féminines, reproduisent d’ailleurs les assignations de genre. Comme une future maman expliquant que « Moi qui n’ai jamais aimé les poupées, deux petits garçons ça me va bien ». A travers cette citation, cette femme n’imagine pas un seul instant que des garçons puissent vouloir jouer avec un poupon.
 

 

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